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Le discours sur la violence scolaire ou la fabrication de l’ennemi intérieur

mercredi 5 mai 2010


Chatel, ministre de l’éducation, a réuni
les 7 et 8 avril des “états généraux de
la sécurité à l’école”. Cette réunion
dans laquelle se sont commis des représentantEs
des personnels et des élèves a une
fois de plus permis de renforcer le virage sécuritaire
de l’école publique. Si certainEs
participantEs notamment syndicaux ont par
la suite dénoncé ces orientations, leur simple
présence a cautionné ce faux débat.
Quand on sait que ces états généraux partaient
d’un rapport d’Alain Bauer, conseiller
et entrepreneur du marché sécuritaire, il n’y
a aucune excuse à leur présence !

Qui plus est, ces pseudos états généraux
tombaient alors que les moyens alloués à
l’école ont encore diminué (16.000 suppressions
de postes de titulaires pour la rentrée
2010 sans parler de la précarisation croissante
des personnels de vie scolaire notamment).
Dans la même logique Chatel met en
place la réforme des lycées généraux retoquée
l’année dernière par un fort mouvement
lycéen. Enfin, et ce n’est pas un
hasard, ces états généraux ont été décidés
lors de la campagne des régionales au moment
où la droite a actionné, une fois de
plus, le levier sécuritaire pour limiter la débâcle
électorale. Cap qu’elle maintient depuis
dans un espoir de reconquête électorale.

Encore un virage sécuritaire

Le premier constat dressé par nos
élites serait celui d’une croissance
quasi exponentielle de la violence
scolaire face à laquelle il faudrait
“sanctuariser” l’école et ses
abords. Pour cela 5 orientations
principales ont été définies : “Mesurer
la violence et le climat dans
les établissements scolaires”,
“Construire une nouvelle politique
de formation des professeurs et de
l’ensemble des personnels de
l’Éducation nationale”, “Renforcer
le plan de sécurisation des établissements
scolaires”, “Responsabiliser
les acteurs et redonner du sens
aux sanctions scolaires” et enfin
“Engager des actions ciblées dans
les établissements les plus exposés à la violence”.
Bref, un nouveau tour de vis sécuritaire
dans une école qui en subissait déjà trop.

Au menu, on trouve pêle-mêle, un accroissement
du fichage et d’une gestion statistique
des problèmes scolaires aux dépens
de l’humain ; le renforcement des liens avec
la police en doublant les effectifs des
équipes mobiles de sécurité [1]. On nous renforce
aussi le poids des hiérarchies locales
puisque les chefFEs d’établissement pourraient
choisir “leur équipe”. Bien sûr on
nous ressort la suppression des allocations
familiales pour les “parents qui n’assument
pas leurs responsabilités”. C’est une fois de
plus criminaliser les classes populaires, individualiser
des cas qui relèvent de la misère
sociale, renvoyer sur les familles toutes
les difficultés alors que les mesures d’aides
spécifiques comme les RASED dans le premier
degré ont été supprimées.

Rajoutons quelques voeux pieux sur des
sanctions qui devraient être mieux comprises
et expliquées ainsi qu’une “formation
spécifique à la gestion des conflits” lors de
la formation initiale en master avec un module “tenue de classe”. Il faudrait aussi renforcer
le poids de la gestion des “violences”
dans la formation continue des personnels.
Peu importe que dans le même temps, la formation
des nouveaux enseignantEs soit réduite
à peau de chagrin (deux - voire une
seule - sessions de quelques semaines par
an). Dès la rentrée, ils/elles seront balancés
à temps plein devant les élèves alors
qu’ils/elles n’assuraient jusqu’alors “que” 6h
à 9h par semaine en recevant en parallèle
une formation en IUFM. On se dirige tout
droit vers une formation stéréotypée où
l’élève est présenté comme l’élément perturbateur
sinon l’ennemi.

Depuis, le cap du fichage a été accru et on
nous ressort un “préfet des études” dont la
dénomination réactionnaire, inspirée de
l’enseignement privé, cherche à transformer
les CPE en véritables rouages de la direction
chargés de piloter, de loin, des équipes
de surveillantEs toujours plus précaires.

Pourtant, le flicage étant déjà des plus prégnants
au sein de l’espace scolaire (vidéosurveillance,
flic référent dans chaque établissement,
contrats locaux de sécurité...).
C’est à croire que le flicage ne sert à rien
puisque le discours reste toujours aussi
alarmiste ! Nous penserions même que c’est
lui qui crée le problème.

Toujours plus de violence ?

Depuis les années 1990, la violence scolaire
serait en constante augmentation et
justifierait le tournant sécuritaire entrepris
avec l’aval des directions des principales organisations
syndicales et d’une majorité,
hélas, de personnels de l’école. Chaque palier
supplémentaire est accompagné d’un
véritable plan de campagne médiatique autour
de violences subies par des enseignantEs.
Pourtant, les violences à l’encontre
des adultes et a fortiori des enseignantEs
sont marginales. Bien sûr, compte tenu des
effectifs (plus de 900.000 dans l’enseignement
public) on peut presque tous les jours
sortir un phénomène nouveau donnant cette
impression de guerre ouverte dans l’école.

Au delà, ces “violences” à l’encontre des
adultes sont plus souvent des protestations,
insultes voire bousculades que des attaques
physiques. Qui plus est, si l’on devait trouver
les principales victimes des dites “violences”,
sachant qu’elles rassemblent un
patchwork allant du plus bénin au plus
grave sans souci de trier, ce seraient en premier
lieu les élèves. Et quand bien même,
les statistiques officielles elles-mêmes peuvent
aller à l’encontre du discours ambiant.
Ainsi l’enquête SIVIS de 2009 dénombre
10,9 incidents graves pour 1.000 élèves soit
une légère baisse par rapport à l’année précédente.

Reste que les cas de violence auraient augmenté.
Cependant, les relations interpersonnelles
dans nos sociétés, contrairement
aux discours alarmistes, sont plus pacifiées
que par le passé. C’est la violence qui est de
moins en moins acceptée. Dans ces conditions,
les signalements sont plus importants,
donnant une image déformée de la réalité.
De la même manière, les relations entre enfants
ou adolescentEs et/ou adultes
sont elles-mêmes moins dures. Quant
à l’école, elle n’a jamais été ce sanctuaire
que veulent nous vendre les dirigeantEs
politiques voire syndicaux.
Ce qui est vrai en revanche, c’est que
les collèges et lycées qui jusqu’aux
années 1970-1980 étaient réservés
aux classes moyennes se sont ouverts
aux classes populaires. L’arrivée de
ce nouveau public s’accompagne
d’une véritable incompréhension de
classe entre élèves et enseignantEs
majoritairement issus des classes
moyennes. C’est cette incompréhension
qui est traduite en “incivilités” et
“violences”, de même que le retour
d’un sentiment de légitime arnaque
des enfants des classes populaires
Pour elles et eux, la démocratisation
(ambigüe) de l’enseignement ne signifie
pas un avenir radieux mais le
cantonnement aux tâches inférieures (quoique de plus en plus complexes) du système
économique et donc à la pauvreté, qui
tend plutôt à s’aggraver dans les zones de
relégations des grandes aires métropolitaines.
Loin d’être un “sanctuaire”, l’école
n’est pas en marge du système d’exploitation
économique et sociale.

On le voit, la violence scolaire
n’est pas aussi prégnante que
media et politicienNEs nous le
vendent, moins grave, ne
touche que peu les professionnelLEs
dont c’est pourtant parfois
devenu un argument pour
limiter la dégradation de leur
condition d’exercice. Ce discours tend surtout
à cacher la véritable violence, celle du
capitalisme, de l’État et la domination de
classe. Par ailleurs, elle est depuis les années
1990 l’un des vecteurs de la construction
de l’ennemi intérieur. Il est étranger ou
d’origine étrangère, pauvre, vivant dans les
banlieues. Le rapport Bénisti de 2003 ne faisait-
il pas d’ailleurs un lien de causalité
entre la pratique d’une langue étrangère à
la maison et le passage à la délinquance ?
Ce n’est pas un hasard si, médiatiquement,
les problèmes scolaires à Roubaix ou Lille
sud tiennent le haut du pavé alors que la situation
n’est pas meilleure dans nombre
d’établissements de Boulogne/Mer. Une
même misère, des difficultés scolaires semblables,
un même décalage de classe entre
professionnelLEs et enfants mais une couleur
de peau bien blanche, moins vendeuse
pour une presse complice.

Des incidences pédagogiques lourdes

Dans un contexte où l’établissement scolaire
tend à se transformer en commissariat, où les
adultes doivent exercer un contrôle de plus
en plus lourd sur les élèves et leur famille, où
la stigmatisation des élèves issus des classes
populaires d’origines étrangères devient
commune, il n’est pas surprenant
que le rapport de confiance des
enfants pour les adultes soit de
plus en plus souvent rompu. Dès
lors comment être surpris, dans
les quartiers populaires où les
flics se comportent comme des
cowboys, où la garde à vue tend à
se généraliser pour les mineurEs,
que les profs ou surveillantEs
soient appelés “la BAC” ? Cette situation
étant encore aggravée
par l’incompréhension de classe
entre enseignantEs et élèves, et
le recul de la prise en charge les
difficultés scolaires rencontrées
(tous les “projets personnalisés de réussite
éducative” et leurs clones ne sont qu’un
cache-sexe de la dégradation des conditions
d’enseignement).

De la même manière, pour les adultes et
particulièrement les enseignantEs, l’élève
devient l’ennemi, celui dont le
seul objectif est la perturbation
du bon déroulement du cours.
Le discours lancinant sur la violence
finit par jouer à plein.
L’élève devient un “barbare” en
ce sens qu’il ne partage pas tout
à fait les mêmes codes comportementaux
et de communication,
n’a même pas la décence de recevoir,
soumis, les valeurs et savoirs de la modernité
et de la République. Il y a bien sûr ici
une exagération, les enseignantEs ne sont
pas (ou c’est une minorité) des sortes de
néo-colonialistes conscients, mais l’afflux
des consignes sur la transmission des “valeurs”
de la République et de la démocratie,
sur les comportements citoyens finissent
par peser sur l’enseignement même des professionnelLEs
les plus hostiles à la réaction.
Là encore, le décalage de classe joue son
rôle dans les représentations mentales et
les pratiques. Enfin, les difficultés scolaires
(qu’il faudrait encore analyser en les
confrontant au modèle dominant) et la réduction
des moyens humains pour les résoudre
finissent par exacerber le sentiment
d’échec. Dès lors, pour éviter ou limiter la remise
en question, quoi de plus simple que de
renvoyer les élèves à leur “nullité”, leur “débilité”,
leur violence... Certains discours en
salle des profs, véritable sas de décompression,
sont à ce stade édifiants.

Heureusement, il y a des résistances

En l’état, le constat est plutôt déprimant.
Nous avons évoqué la duplicité sinon la
complicité d’un grand nombre de personnels et de leurs principales
organisations syndicales. Cependant,
à la base, cette
orientation peut être clairement
dénoncée. Dans l’académie
de Créteil en février,
les personnels ont refusé de
rentrer dans cette spirale
pour dénoncer le manque de
personnels, à l’origine des
difficultés. Au lieu de se replier
dans l’individualisme
sécuritaire, ils ont fait le
choix du combat contre la
casse de l’école et contre la
réforme Chatel des Lycées.
Fin avril, les personnels du
collège Martin Luther King de Calais ont exercé leur droit
de retrait suite à la découverte de bombinettes à l’acide.
Ils ont dénoncé la réduction du personnel de surveillance
et ne semblent pas partants pour collaborer avec la police
ou installer toujours plus de caméras de vidéo-surveillance.
Auparavant, des luttes similaires ont été
menées dans les collèges Lebas ou Sévigné à Roubaix,
Boris Vian à Fives... Même constat, mêmes demandes,
même refus du flicage ou de la précarisation des personnels
de surveillance.

Dans la région toujours, le REPTIL (Réseau des Établissements
Promis à Tout Incident Lourd), plus particulièrement
actif sur le bassin de Roubaix, a lui aussi dénoncé le sort des
élèves et des personnels des établissements des quartiers
populaires. L’une de leurs pancartes lors de manifs hebdomadaires
au début des années 2000 sur la Grand Place de
Lille était éloquente : “Nous ne sommes pas là pour faire du
contrôle social”. De la même manière, le combat contre le
flicage de l’école fait partie des fondamentaux de certaines
organisations syndicales comme la CNT ou SUD.

Les élèves peuvent aussi être acteurs/rices de ce combat.
Ainsi des lycéenNEs se sont battus contre l’instauration de
contrôles biométrique dans les cantines ou ailleurs. En 2006,
devant le collège Sévigné de Roubaix, ce sont près de 300
élèves (quelques parents se sont aussi joints à eux/elles) qui
se sont rassemblés après que deux de leurs camarades aient
été arrêtés et menottés en classe par des flics (ils ont été
d’ailleurs relaxés par la suite).

Outil de la campagne sécuritaire, lieu de désengagement
financier, instrument de la reproduction sociale, l’école de
l’État et du patronat n’est cependant pas brillante. C’est
bien un changement radical de système qui permettra
d’en finir avec cette logique honnie. Évidemment, ce combat
contre toutes les formes de domination doit inspirer
et s’inspirer des luttes contre les dérives sécuritaires et la
défense du service public d’éducation, mais aussi des alternatives
concrètes fondées sur le principe de coopération
entre touTEs les intervenantEs (professionnelLEs,
élèves, parents) afin de rompre avec les logiques sécuritaire
et hiérarchique.

Vive la révolution sociale et pédagogique !

Notes

[1Les équipes mobiles de sécurité (EMS) font intervenir
des espèces de brigades de flics et de personnels
de l’éducation pilotées depuis le rectorat en fonction
des évènements et de la demande des chefs d’établissement.